Terre, eau, feu, vent. Lorsque l'homme réunit ces quatre éléments, il ne peut que créer une œuvre exceptionnelle. C'est précisément ce que font les artisans de la fonderie de cloches Marinelli, située dans la petite ville de montagne d'Agnone, dans le sud de l'Italie, et ce depuis 800 ans.

Luigi Catalano, 38 ans, travaille depuis 16 ans dans la «Campane Marinelli – Pontificia Fonderia di Campane». Ce matin, comme il l'a souvent fait durant toutes ces années, il déterre une cloche du fossé où elle a durci. C'est un travail physique: pourtant solide et musclé, Luigi s'appuie pour se reposer dans le coin du fossé, une pelle posée à côté de lui. Il regarde le grand tas d'argile devant lui, dans lequel se cache une cloche fraîchement fondue. Il espère avoir déblayé assez de terre pour soulever la masse informe. Il parle peu, préfère agir. «Allons-y!» Son collègue, Pasquale Vecchiarelli, 30 ans, acquiesce. Un signal d'alarme rompt le silence de la halle. Pasquale appuie sur la télécommande pour actionner la grue sur rail fixée au toit du bâtiment. Lorsque les cloches seront martelées, on pourra à peine s'en approcher, tellement le bruit sera assourdissant. Mais le reste du processus de fabrication se fait en silence, simplement parce qu'aucune machine, ou presque, n'est utilisée.

Il faut du temps pour obtenir les pièces devant lesquelles se tiennent Luigi et Pasquale. Fabriquer ces instruments qui pèsent parfois plusieurs tonnes nécessite jusqu'à trois mois de travail.

Armando Marinelli

Pour Luigi, cela représente trois mois de travail. Les patrons Armando, 58 ans, et son frère Pasquale, de dix ans son cadet, vouent une véritable passion à la fabrication de cloches. Ce terme est d'ailleurs souvent employé ici. Tout est fait avec «passione». Les deux frères ont encore des étincelles dans les yeux lorsqu'ils décrivent le processus de fabrication, même s'ils l'ont fait des centaines de fois. «Nous fabriquons les cloches selon des méthodes millénaires; nous utilisons les mêmes techniques et les matériaux qu'à l'époque – 78% de cuivre et 22% d'étain pour la fonte, du mortier, de l'argile et de la terre pour les moules», nous explique Armando, avant de nous résumer fièrement l'histoire de sa fonderie. «Notre famille est venue de Venise en 1200 et a amené son savoir-faire avec elle.» La fonderie se trouvait au cœur de la vieille ville d'Agnone avant d'être la proie des flammes en 1950. La famille a ensuite aménagé un nouvel atelier en périphérie.

Armando (à g.) et Pasquale Marinelli (à dr.) travaillent dur: les cloches qu'ils fondent dans ces moules pèsent plusieurs tonnes.
Les Marinelli, de fiers fondeurs de cloches depuis 800 ans.

Depuis, peu de choses ont changé, si l'on en croit la couche de poussière qui se dépose partout, conséquence de la fabrication des cloches. Seuls un chariot élévateur jaune et un peu de bronze fraîchement fondu brillent à travers la couche de poussière brune.

Un nouveau four à gaz a été installé il y a quelques années, mais les grosses cloches sont encore fondues sur feu de bois. «Le vieux four est dix fois plus puissant», déclare Armando. Outre quelques scies et ponceuses, l'entreprise fonctionne quasiment sans électricité.

«Voici le cœur de notre travail», me dit Armando en me montrant quelques dômes d'argile éparpillés sur le sol. Certains fument comme des volcans. «C'est ici que naissent nos demoiselles», m'explique Armando, fièrement.

Il prend quelques pierres et une truelle, puis il jette un peu de mortier sur un cercle de pierres devant lui qu'un collègue a déjà maçonné. Il prend une brique, enduit le côté d'un restant de mortier, puis prend une autre pierre. Les fondeurs de cloches parlent souvent de leur art avec poésie. «C'est comme ça qu'on crée l'âme de la cloche.» Ce qui sonne romantique ou spirituel décrit en vérité le moule interne de la cloche. La brique est recouverte d'argile. Un pieu enduit d'une couche de métal dépasse au milieu du cercle de pierres. Un moule en acier y est accroché, entourant les briques, et l'argile forme la courbe interne exacte de la cloche.

On appliquera ensuite sur ce moule une couche de plâtre pour créer le modèle de la cloche. La couche interne formera sa larme interne, la couche externe l'extérieur de la cloche. Il manque encore les décorations. Les patrons en cire sont appliqués sur le plâtre. Inscriptions, images saintes ou étoiles, tout est possible. Les fondeurs enduisent les décorations d'une fine couche d'argile, qui sera ensuite appliquée sur la couche d'argile plus grossière. «C'est la particularité de notre méthode», nous explique Armando. «D'autres fondeurs gravent les décorations, alors qu'elles sont directement intégrées au métal de nos cloches.»

Les deux frères sont particulièrement fiers de pouvoir utiliser les insignes pontificaux. Seul le Pape peut accorder ce droit que la fonderie a obtenu il y a près de cent ans. C'est la raison pour laquelle l'enseigne de la fonderie est surmontée des drapeaux italien et européen mais aussi de celui, blanc et jaune, du Vatican. Et les cloches portent les armoiries papales.

Des charbons brûlants à l'intérieur du moule sèchent le mortier, le plâtre et l'argile et font fondre la cire alors que le reste durcit. Seul l'endroit où se trouvent les moules destinés aux futures cloches est chauffé. Le reste de l'atelier – Pasquale et Luigi compris – est refroidi par l'air frais des montagnes. Les deux hommes doivent reprendre le travail. À l'aide de la grue, ils soulèvent la couche externe et frappent sur le moule en plâtre avec un marteau. Puis ils redescendent la coque externe. L'espace en bois entre les deux moules est ensuite rempli de bronze liquide, qui formera la cloche une fois durci. Les prêtres de la commune qui ont commandé les cloches viennent souvent bénir le métal liquide. Ils sont venus il y a deux jours, accompagnant leur bénédiction de prières.

Les moules sont enfoncés jusqu'à cinq mètres dans le sol afin que rien ne glisse durant la fonte. Cette fois-ci, ils n'ont été placés qu'à deux mètres de profondeur, mais il reste suffisamment de terre à pelleter pour presque épuiser un homme aussi motivé que Luigi. Son front est trempé de sueur, malgré l'air frais des montagnes.

Armando Marinelli

«Soulève-la!», crie Armando. Pasquale appuie sur le bouton, la cloche s'élève légèrement, mais quelque chose semble la bloquer. «Zut!», s'écrie Pasquale. Elle finit par monter, et les deux hommes poussent de toutes leurs forces pour sortir le mastodonte de la fosse. Le sol fume, car le métal est encore chaud. Les deux hommes suent abondamment.

«Notre savoir-faire se transmet de père en fils depuis 800 ans», nous explique Armando. «Les pères de notre famille ont toujours eu peur que leurs enfants ne veuillent plus poursuivre la tradition.» Son père est décédé tôt, et son oncle ne l'a pas forcé à reprendre l'entreprise familiale. «Mon frère et moi voulions la transformer et fondre avec des machines», déclare Armando. Mais leur oncle les a convaincus que la méthode traditionnelle était la meilleure. Aujourd'hui, Armando sait qu'il avait raison. D'autres fonderies, industrielles, font face à des difficultés, alors que les cloches Marinelli sont plébiscitées dans le monde entier.

Son fils Ettore, 26 ans, s'implique lui aussi. Certains éléments ont été améliorés, sans pour autant trahir la tradition. Les Marinelli font aussi des sculptures, et un musée à l'étage donne un aperçu de l'histoire des cloches.

C'est la femme d'Armando, Paola, âgée de 54 ans et première femme de l'entreprise, qui l'a aménagé. Outre le musée, elle est responsable des œuvres d'art. En effet, l'entreprise ne fait plus uniquement des cloches, mais aussi des sculptures en bronze. Elle travaille aussi dans les bureaux et donne un coup de main durant les visites de groupe.

Luigi retire les boulons en acier placés en forme de croix sous la cloche à l'aide d'un lourd marteau. Puis Pasquale et lui prennent un plus petit marteau et se mettent à taper sur le manteau d'argile. Une cloche mate recouverte d'une couche noire commence à apparaître. Après plusieurs coups de brosse métalliques, la couche noire disparaît et fait place à une cloche étincelante aux reflets argentés. Avec le temps, le bronze deviendra mat et prendra enfin un léger ton verdâtre. Mais c'est le maestro qui décide si elle est prête à quitter l'atelier. Seules les cloches qui sonnent juste peuvent être livrées aux clients.

La cloche est soumise à un test de son. Le maestro Antonio degli Quadri est expert en matière de vibrations des cloches. Il vérifie les demoiselles de la fonderie Marinelli.
Le maestro: un expert en vibrations

Le maestro, Antonio degli Quadri, a 81 ans. Chaque jour, il place un diapason réglable tout près des cloches. Il est soudeur électrique de métier mais son père, qui travaillait lui aussi pour la fonderie, lui a appris à tester les cloches. Quand le son est juste, la cloche reproduit directement et précisément les vibrations du diapason, qui se situent à 435 hertz. Si elle réagit à une autre vibration, par exemple un la à 440 hertz, elle est fondue à nouveau. Une fois qu'une cloche a été approuvée par le maestro, elle est acheminée partout dans le monde. On retrouve des cloches Marinelli dans la tour de Pise, et même le bâtiment de l'ONU à New York.

Cette cloche-là partira pour le sud de l'Italie. Pour autant qu'elle ne soit pas frappée par la foudre ou qu'elle ne tombe pas, elle sonnera très longtemps. Et si Armando passe par hasard devant le clocher alors qu'elle sonne, il la reconnaîtra, fier et reconnaissant.

Texte: Sandro Mattioli | Images: Roberto Salomone