La fabricante de pinceaux
D‘énormes pinceaux pour d‘immenses coulisses. Sybille Grossmann fabrique à la main des pinceaux destinés à des théâtres dans toute l‘Europe. Nous lui rendons visite dans son atelier.
Sybille Grossmann se sent vraiment bien dans son petit atelier. Elle est dans son élément. Quand elle travaille sur ses pinceaux, les lieux deviennent incroyablement calmes. Avec un œil d’experte, elle vérifie si tous les poils ont la même longueur. Elle hoche chaque fois la tête d’un air approbateur avant de passer au pinceau suivant. Elle maîtrise parfaitement chacun de ses gestes. Rien d’étonnant, puisqu’elle a l’art de la fabrication des pinceaux dans le sang. Elle ne fabrique pas n’importe quel pinceau, puisqu’elle s’est spécialisée dans la création de pinceaux destinés au théâtre. Comme son père avant elle. Son grand-père a d’ailleurs dirigé une grande fabrique de pinceaux dans la même ville, autrefois. Depuis, les choses ont un peu changé. Au lieu d’une grosse fabrique, un petit atelier avec entrepôt attenant, placé directement en dessous du domicile de Sybille, dans la périphérie de Ravensbourg. Le lieu est confortable et bien rangé. Chacun des pinceaux et des petits outils a sa place, parfaitement adaptée aux différentes étapes de travail de l’artisane. Elle a besoin de cet ordre pour fabriquer ses pinceaux aux tailles les plus diverses. Elle doit savoir exactement où se trouve chaque objet.
J'ai grandi avec des pinceaux
Sybille Grossmann
Elle a placé ses différents postes de travail en cercle. Au premier, à la fenêtre, elle pèse les poils, puis les entoure d’un morceau de tôle, un anneau de métal qui les maintient et détermine ainsi l’épaisseur du pinceau. Elle ne sait jamais à l’avance combien de temps lui prendra chaque pinceau. Elle ne fabrique pas chaque objet du début à la fin, mais elle répète souvent une étape de travail plusieurs fois. Cela lui permet d’être plus productive. Elle a appris cette méthode de son père. Pourtant, elle ne pensait pas devenir fabricante de pinceaux. «Après mon école obligatoire, j’ai quitté Ravensbourg et j’ai déménagé à Berlin. J’y ai étudié la pédagogie sociale et j’ai travaillé dans cette branche», nous explique-t-elle, zen. Les choses ont changé à la venue de son deuxième enfant. Elle a eu de la difficulté à gérer à la fois un bébé et son aîné, en âge d’être scolarisé. Elle a donc décidé d’intégrer l’entreprise familiale. «J’ai grandi avec cet art, nous raconte-t-elle. Je le connaissais déjà.» Il ne lui manquait qu’un peu de pratique. Elle s’est donc exercée deux fois par semaine durant quelques heures dans la cave de ses parents. Au bout d’une année, elle s’y rendait une fois par jour. Elle avait trouvé sa vocation.
C’est ce qu’elle nous raconte alors qu’elle pousse un patron en bois dans les poils par en dessous afin de donner au pinceau sa forme caractéristique. Les pinceaux sur lesquels elle travaille en ce moment doivent être ronds, et non pas droits. Elle doit garder la main stable, car les poils sont fins, et ils doivent être ajustés en même temps. Plus un seul poil ne doit dépasser, sinon le pinceau ne répartit pas la peinture de manière régulière. Elle serre ensuite le morceau de tôle avec une pince pour que les poils restent bien en place.
Son travail a l’air méditatif. Lorsqu’elle va chercher un outil, elle se déplace doucement et pensivement. Elle prend son temps. Sa main ne peut pas trembler lorsqu’elle remplit la tôle de colle spéciale, depuis le haut. Sinon, la colle déborderait, et le pinceau ne servirait plus à rien. Elle travaille bien 20 fois sur un pinceau jusqu’à ce qu’il soit fini. Après le premier versement de la colle spéciale, elle doit d’abord attendre une bonne demi-journée que la colle sèche sur un support spécial.
Une fois la colle sèche, il est temps de donner au pinceau la particularité qui le distingue. Sybille pose une vis par en bas, fixée encore une fois par de la colle spéciale. Dans cette vis, elle pourra ensuite visser un manche de la taille voulue. Facteur essentiel aux artistes des théâtres: les pinceaux doivent être de différentes longueurs pour répondre aux besoins des différentes salles. Par exemple, certaines toiles placées sur le fond de scène mesurent 10 à 20 mètres de large.
Des théâtres de toute l’Europe commandent des pinceaux auprès de Sybille: la Scala de Milan, le Wiener Oper, à Vienne, l’opéra de Zurich, le Det Kongelige Teater à Copenhague, sans oublier tous les grands théâtres d’Allemagne et d’Autriche.
«La gamme composée d’environ 60 modèles différents a été créée en collaboration avec les théâtres», nous informe Sybille en rangeant un compas de 1,10 mètre de diamètre, utilisé pour les peintures rondes lors de la création de décors. Les théâtres commandent des pinceaux spéciaux deux à trois fois par année. «Je suis toujours curieuse de voir les œuvres créées avec mes pinceaux, que ce soit des mondes fabuleux ou des panoramas réalistes. Le mieux, c’est que la toile fasse tout son effet à partir d’une distance de dix mètres.» C’est là qu’on voit l’œuvre dans son ensemble. Même si elle exerce son métier depuis plusieurs années, Sybille trouve ça toujours fascinant.
Je suis toujours curieuse de voir les œuvres créées avec mes pinceaux, que ce soit des mondes fabuleux ou des panoramas réalistes
Sybille Grossmann
Les pinceaux de Sybille n’ont pas seulement des formes et des tailles particulières, mais aussi des poils spéciaux qui peuvent contenir beaucoup de couleurs. Tous les poils sont différents les uns des autres et sont parfaits pour dessiner des formes particulières, comme des fleurs, des gazons, des tableaux impressionnistes ou encore des décors de rue. Chaque pinceau a été fabriqué dans un but particulier.
Des poils fins ne sont pas adaptés à la toile d’un décor de théâtre. Elle requiert des poils épais, arrangés en brosse. «Les poils du cochon chungking conviennent particulièrement bien aux pinceaux», nous explique Sybille. L’animal doit avoir vécu trois ans en extérieur, sinon les poils ne sont pas assez denses et épais. Elle ne se lasse pas de parler des différentes formes de poils et de la manière dont ils peignent. En parlant, elle caresse les poils des pinceaux, les prend comme une tresse. «Ils forment une boule, mais ils ont une structure écailleuse.» Parfait pour les peintures de théâtre, dont les couleurs doivent être durables, même sur de grandes toiles.
Une fois le pinceau terminé, il doit subir un traitement particulier. Sybille enduit les poils d’une pâte de graines de lin qu’elle a créée elle-même, puis elle les met au four pendant quatre bonnes heures. Cela protège les poils utilisés sur les décors. La demande est telle qu’elle a ajouté des poils synthétiques à son assortiment. De nombreux théâtres sont contraints de faire des économies. Conséquence, de plus en plus de couleurs bon marché sont utilisées. Malheureusement, elles détruisent les poils de porc.
Eh oui, les théâtres doivent économiser. Les mandats diminuent d’ailleurs quelque peu. «De nombreux théâtres impriment les fonds de scènes ou n’ont que des toiles minimalistes.» Mais elle ne songe pas à s’arrêter pour autant. «Certaines commandes ne peuvent se faire qu’en grande quantité. Les stocks tiendront facilement encore cinq ans.» De plus, cet art suscite encore de l’intérêt. Sybille est régulièrement contactée par des gens qui souhaitent apprendre le métier. Elle garde son calme et continue à travailler dans son atelier, pour que de nouveaux mondes soient peints dans les théâtres de toute l’Europe.
Texte: Catharina König | Images: Bernd Jonkmanns