La vie est trop courte pour un seul projet.
Bâtisseur de pyramide, réparateur de motos, sauveur de parquet, dentiste... Harald a plein de projets.
Harald Geiling se tient entre jantes, établis et comparateurs dans son atelier de réparation de motos. Vêtu de jeans et d'une veste bleue tachée d'huile et de saletés, il bricole au banc de redressage, sur lequel est fixé un cadre de moto. Une collision l'a fortement comprimé de 22 mm, ce qui a modifié son angle de chasse. La roue avant frotte le refroidisseur. La moto ne peut pas rester comme ça, il faut lui redonner sa forme originale. Harald élève le banc de redressage: «J'adore les réparations, surtout si d'autres me disent qu'elles sont impossibles. C'est ce qu'il y a de plus beau.»
J'adore les réparations, surtout si d'autres me disent qu'elles sont impossibles.»
Harald Geiling
"Un seul autre atelier allemand fait ce que Harald fait. Sur son étagère, des roues provenant d'Ibbenbüren, d'Oerlenbach et de Cobourg attendent sagement leur tour. Harald allume son laser. Il l'utilise pour vérifier sa position lorsqu'il étire et redresse les pièces. «Aucun autre appareil de mesure conventionnel ne fonctionne», nous explique-t-il. C'est la raison pour laquelle il a fait breveter son idée de laser linéaire.
Il a connu des débuts modestes en 1978. A l'époque, il s'énervait du fait que des jantes pourtant chères étaient ruinées au moindre accroc. Lorsqu'il a tenté de les réparer, d'autres mécaniciens deux-roues lui ont rétorqué que ce n'était pas possible. La première roue qui a atterri chez lui après un accident présentait une déviation de trois millimètres. A sa première tentative de correction par pression et chauffage, il a réussi à la faire bouger de 1,5 mm. Et puis plus rien... «J'ai eu un moment d'illumination!»"
Harald aime faire ce que d'autres considèrent comme impossible. Et de préférence plusieurs projets en même temps, ou l'un derrière l'autre. Il a toujours été comme ça. Son certificat d'école secondaire en poche, il voulait étudier la médecine dentaire, mais sa moyenne n'était pas assez élevée. Il a donc fait un apprentissage de technicien-dentiste. Mais comme il a toujours bidouillé sur des motos, il a ouvert son propre atelier de cyclomoteurs en parallèle, avec un ami maître-mécanicien. Six mois, plus tard, il a tout de même pu intégrer l'école de médecine dentaire. «Tout le monde pensait que j'allais fermer l'atelier.» Mais il l'a conservé, et il a étudié en parallèle. Et puisque ça ne lui suffisait pas, il a obtenu le titre de mécanicien deux-roues. Comment? Sans formation de mécanicien? Oui, c'était possible, tant que le candidat avait déjà terminé une formation. Et Harald avait obtenu son diplôme de technicien dentaire. Il a donc passé l'examen.
Deux jours par semaine, Harald répare des dents à la place des roues dentées. Et il travaille aussi à d'autres projets, comme celui-ci: en 2004, il a construit un gigantesque centre de congrès en forme de pyramide au bord de l'autoroute à Mayence-Hechtsheim. Il mesure 30 mètres de hauteur, et s'étend sur une surface de 4000 mètres carrés. Presque tout le monde la connaît dans la région Rhin-Main, puisque 120 000 automobilistes passent devant chaque jour. Il lui a fallu trois ans pour terminer le gros œuvre et la façade d'acier inoxydable, de fibrociment et de verre. Il a réalisé ce projet avec Wiktor, son collaborateur au centre de la moto. Il a coulé lui-même la dalle de fondation de 2000 mètres carrés, a posé 600 mètres de tuyaux d'évacuation des eaux et plus de 3 kilomètres de tuyaux de chauffage pour le plancher chauffant. Il a aussi posé l'équivalent de 60 camions de pierres et de 20 livraisons de semi-remorques de plafonds à éléments préfabriqués. Au troisième étage, il a posé une construction en acier de 120 tonnes pour créer un toit en pyramide et une terrasse vitrée.
Pourquoi l'a-t-il construite lui-même? Il ne peut pas s'en empêcher: «Le dimanche, une fois que j'ai lu le journal, je commence vite à m'ennuyer. Je dois aller faire du vélo, ou bâtir quelque chose.» Il me montre un plan sur lequel il a dessiné des cercles au compas pour former un rectangle. Le rectangle représente son nouveau centre de la moto. L'idée est de l'ériger en face de l'atelier actuel. Les cercles indiquent la distance que pourrait parcourir une grue, et où elle devrait être positionnée. Il n'a pas encore obtenu de permis de construction.
Le dimanche, une fois que j'ai lu le journal, je commence vite à m'ennuyer. Je dois aller faire du vélo, ou bâtir quelque chose.»
Harald Geiling
Harald n'a encore jamais connu d'échec cuisant. Il a toujours suivi son instinct, notamment lorsqu'il a construit la pyramide. Un bureau de géomètres avait défini les fondations par points sur lesquelles les appuis de la pyramide devaient être posés. Une fois que Harald et Wiktor ont creusé la moitié des fondations, Harald a eu l'idée de mesurer à nouveau le tout pour vérifier que les emplacements étaient corrects. Et ils ne l'étaient pas! La base de la pyramide n'était pas carrée, mais plutôt semblable à un parallélogramme. «Heureusement, nous n'avons eu aucun dégât, parce que nous l'avons remarqué à temps», me raconte Harald.
Enfant, il fabriquait déjà des objets. A six ans, il a construit un jeu de croquet, avec maillet, boules et arceaux en fils métalliques. A huit ans, il s'est aménagé un atelier et a monté lui-même des étagères avec du bois de recyclage. A 15 ans, il s'est acheté un appareil de soudage avec son argent de poche et s'est fabriqué un vélomoteur. «J'ai toujours investi beaucoup d'argent dans des outils, et je les ai améliorés lorsque c'était nécessaire.» Il procède toujours de même aujourd'hui. S'il reçoit une moto qui présente un défaut qu'il n'a encore jamais vu, il fabrique un outil spécial pour la réparer.
Je m'acharne sur les problèmes, jusqu'à ce que je les résolve.»
Harald Geiling
«Ma femme dit toujours qu'elle n'aimerait pas avoir un mari qui n'est pas bricoleur.» Un tuyau situé sous le paquet s'est mis à fuir récemment, de l'eau a infiltré le bois. «Nous avons enlevé les lattes du parquet, et nous les avons séchées, mais elles ne rentraient plus. Il manquait 20 millimètres. Je suis comme ça, je m'acharne sur les problèmes, jusqu'à ce que je les résolve.» Dans ce cas, Harald a vissé dans les planches une vis avec un écrou long de huit millimètres tous les dix centimètres, pour pouvoir les écarter à nouveau. Il a tiré dessus chaque jour pendant une semaine. «J'ai tiré petit à petit le bois dans son ancienne position, jusqu'à ce qu'il ait à nouveau les bonnes dimensions.»
Revenons au banc de redressage pour cadre de motos: Harald tire une couverture thermique et la pose sur le moteur du cadre meurtri. «Je dois le faire avant de travailler sur les pièces. Il faut que je réchauffe un peu le tout.» Il prend ensuite un brûleur à souder et le tient devant le cadre de la moto. De la fumée s'élève du cadre en aluminium chauffé. Il tire la hotte d'aération au-dessus du banc de redressage et vérifie à l'aide d'un thermomètre numérique si le métal est déjà assez chaud. Il l'est. Il pèse sur une pédale, fait avancer le cadre à l'aide d'une pompe hydraulique à air comprimé. La moto avance imperceptiblement, et craque. «Ah! Il manque encore huit millimètres. L'engin est vraiment comprimé.» Une forte détonation retentit subitement. C'est ce qu'Harald voulait obtenir: «Le cadre était mal positionné sur le moteur en raison de l'accident. Maintenant, il est de nouveau droit.» Lorsqu'il mesure à nouveau, le pied toujours placé sur la pédale de la pompe hydraulique à air comprimé, la moto s'est «étirée» de 15 millimètres. C'est bien. «Elle se rétractera lorsque le cadre aura refroidi et qu'il ne sera plus sous tension».
Son téléphone sonne. Un ingénieur en protection incendie l'appelle au sujet de travaux dans la pyramide. Harald discute une demi-heure et s'énerve: «Construire est très facile. Parfois, cela dure plus longtemps pour s'accorder avec les services d'urbanisme. Mais tout ira bien, mon nouveau centre de la moto verra le jour.» D'ici là, il consacre quelques heures à la rénovation d'un appartement au centre de Mayence pour son fils et ses colocataires. «Il vaut mieux avoir deux ou trois projets en parallèle.» «La vie est trop courte pour un seul projet.»
Texte: Katrin Hummel | Photos: Thomas Pirot