Pays des merveilles et tronçonneuse
Jürgen Bergmann construit des cabanes dans les arbres. À la frontière entre l‘Allemagne et la Pologne, il a construit tout un parc de loisirs avec des cabanes, tunnels et ponts insolites.
Bien sûr, le chef revient sur terre quand il reçoit des visiteurs: Jürgen Bergmann descend de l'arbre, sur une passerelle en bois courbée, mi-escalier, mi-pont suspendu. Son bureau est posté tout en haut comme un nid de corbeau dans un vieux chêne, accroché à la cabane dans laquelle il vit. Le parc de loisirs est rempli de ce genre de cabanes. Des passerelles se faufilent d'arbres en arbres, des toboggans et des tunnels rejoignent les cabanes les unes aux autres. Au sol, des cabanes biscornues et des sculptures géantes taillées dans des troncs d'arbres.
Depuis quarante ans, Jürgen construit sur le site, au milieu de nulle part, à vingt minutes de voiture au nord de Görlitz. Sur un terrain de sept hectares, il a imaginé le paysage, créé des buttes, planté des forêts et construit des maisons en bois sur plusieurs niveaux. Petit à petit, tout un village en est sorti, qui attire les visiteurs avec un hôtel dans un arbre, des sentiers à travers les cimes des arbres et des saunas. Jürgen baptise son parc d'aventures «Le monde secret de Turisede».
Il vient à nouveau d'abattre l'un des cent pins de sa plantation plus haut, près de la route nationale. Ses collègues se chargent de scier le meilleur bois en planches, le reste est brûlé dans les espaces de détente. Jürgen a besoin également de nouveaux espaces pour élargir son parc. Deux jours de tronçonneuse et d'excavatrice: rien ne l'empêche de construire lui-même, même si aujourd'hui il emploie une bonne centaine de personnes.
Chaque mètre carré de cet immense terrain de jeu au bord de la Neisse a d'abord été imaginé dans sa tête, il a pris toutes les décisions importantes, ou pour être plus précis, il les a prises avec obstination. Il l'a fait sans se poser de questions et ça a marché. Au début des années 2000, lorsqu'il a étendu son terrain au-delà de la frontière polonaise, il lui fallait absolument un moyen de traverser la Neisse. Le pont routier le plus proche est très éloigné. Il engagea un passeur, et sans plus attendre, un bateau faisait des allées et venues. Personne ne s'y opposa. Jürgen construisit ensuite une passerelle piétonne fixe. Avec toutes les autorisations officielles.
Au printemps 2022, Jürgen aura 65 ans. «J'ai construit ma première cabane quand j'étais enfant», raconte-t-il. L'idée de laisser libre cours à son imagination avec les arbres ne l'a jamais quitté. «La cime d'un arbre», dit-il, «est un salon.» Être assis à l'intérieur et regarder le monde à l'extérieur à travers les feuilles comme à travers des rideaux. C'est ce que raconte un homme à la barbe blanche à qui veut l'entendre – et qui le fait avec le même plaisir qu'un enfant.
Il y a cent cabanes dans les arbres uniquement dans son parc. Pas une ne ressemble à l'autre, assure Jürgen. Et qu'est-ce qui caractérise aujourd'hui une cabane Bergmann? Ce sont surtout ces formes spéciales, un peu biscornues. Les cabanes s'élèvent et s'étendent d'elles-mêmes comme des arbres. Tout, du seuil au plafond, a une forme arrondie, aucun tronc n'est droit comme un piquet. C'est ce qu'entend Jürgen par «Construire des cabanes en suivant l'arbre».
En tout premier lieu, cela signifie construire avec des troncs entiers. Des flèches en robinier portent les constructions. Les veines en spirale, c'est-à-dire un peu tordues, sont les bienvenues. «Scier en suivant la croissance» est une autre caractéristique que Jürgen a développé tout au long des années. Jürgen achète 150 mètres cubes par an, seulement de robiniers. Sur le site, ils attendent d'être utilisés: un océan de troncs marron. Parmi eux, des chênes et aussi de nombreux mélèzes pour les coffrages. Les bardeaux sont en cèdre, c'est le seul bois qui vient de loin, du Canada. Tous les autres bois proviennent de la région.
L'écorce des mélèze est enlevée à haute pression, dans un espace de lavage dédié, dans un coin à l'arrière. Le robinier et le chêne doivent être poncés. L'aubier doit être enlevé car il ne contient pas d'acide tanique et n'est pas résistant aux intempéries. Jürgen passe alors la fraise sur un tronc de robinier et le moteur rugit. Ces routines sont devenues automatiques, il les fait sans réfléchir. Le cœur de bois clair qui apparaît, brille. Mais il ne doit pas être trop lisse.
Jürgen scie ensuite les troncs de robinier et forme des quarts dans la longueur. Ces bois équarris forment les quatre angles de la cabane en bois – qui déterminent pour chaque cabane son élan improbable: «C'est idéal», dit Jürgen. «Quand je construis à partir de ces formes organiques, cela ressemble tout de suite à des œuvres millénaires.» À l'aide de la tronçonneuse, il ponce grossièrement les flèches, puis il passe à la ponceuse. Jürgen et ses collègues travaillent tout en suivant leur inspiration: scier avec la nature, ajoutent-ils.
Les constructions fantaisistes ont donné lieu à une activité commerciale. Dans deux ateliers de production, Jürgen fait fabriquer des maisons fantastiques pour d'autres parcs de loisirs. Il ne parvient plus depuis longtemps à participer à chacun des projets. Il a fait appel à de nombreux professionnels du bois, beaucoup ont appris auprès de lui – auprès du sculpteur sur bois, qu'il est réellement, ou de l'artiste à la tronçonneuse comme il se nomme lui-même. Dans le registre du commerce, son activité a évidemment un autre nom: Conception créative en bois Bergmann. Dans l'entreprise de menuiserie, des cabanes de jeux, des châteaux ou des cabanes de fées voient le jour, qui sont actuellement très demandées. L'équipe construit d'immenses installations d'escalade pour les aires de jeux des zoos et des tours de toboggans pour les parcs familiaux en France. Une installation se trouve à Londres, une autre est partie pour la Corée du Sud. Chaque projet, chaque premier dessin est réalisé par le chef, il visite les lieux chez le client, puis les invite chez lui au bord de la Neisse. Pour l'impression de cabane dans les arbres.
Les cabanes en bois exportées sont fabriquées pour être utilisées au sol, elles sont installées sur des aires de jeux et dans des parcs et ne flottent pas dans les cimes des arbres. Mais elles ont le style Bergmann caractéristique avec beaucoup de charme brut. Les surfaces ne sont pas méticuleusement lissées. «Nous ne faisons que poncer le bois», dit Jürgen, «car il absorbe ensuite la peinture complètement différemment.» On doit garder la sensation d'un matériau naturel résistant aux intempéries. Les enfants doivent faire l'expérience et toucher du bois véritable. C'est le chef qui le dit. Même si ses idées et ses constructions sont encore farfelues: pour lui elles représentent de vraies missions sérieuses.
Jürgen vient d'une famille de jardiniers à Zittau, plus au sud en Saxe. C'est pourquoi il a toujours eu affaire au bois, même à l'époque de la RDA quand ce n'était pas une évidence. Quand il était jeune, il a commencé à sculpter et a très vite pu vendre des masques et des figurines sur les marchés d'artisanat. Au cours de son apprentissage en sylviculture, il a eu accès à une tronçonneuse. Le week-end, il se retrouvait avec d'autres artistes amateurs dans le «Groupe de conception en bois», ils créaient des sculptures pour les aires de jeux ou les parcs des petites villes – et Jürgen a eu ensuite le droit d'intégrer un apprentissage de sculpteur de bois. Au milieu des années 80, bien avant la réunification, il a reprit la très ancienne ferme sur la Neisse. À l'autre bout du monde, à l'époque. Il a tout construit lui-même, avec une ancienne scie ruban qui lui a permis de fabriquer chaque planche.
Il a également invité plein d'amis artistes sur son «île déserte» sur la Neisse. Jürgen avait baptisé les lieux Einsiedel (ermitage), et dans son cas il était vaste, personne n'aurait quelque chose à y redire. «Kulturinsel Einsiedel» (île culturelle de l'ermitage) a très vite été le nom indiqué sur les panneaux officiels. Les premières maisons ont poussé dans les arbres. Les sculptures en bois des artistes se sont multipliées sur le site. Des animaux, des créatures fantastiques de toutes les tailles. Un grand vieux coq de cette époque est aujourd'hui toujours posté sur la place centrale du parc. Certains bancs ont la forme de longs dragons. «À l'époque, je les ais transportés avec la remorque de la Trabant sur les marchés d'artisanat. Ils sont si vieux que ça», témoigne Jürgen.
Il a créé son entreprise au moment de la réunification de l'Allemagne. La première commande: une cabane de jeu dans les arbres pour le parc animalier de Zittau, elle est toujours en place. À Görlitz, ce fut ensuite l'aire de jeux du parc municipal qui lui rapporta beaucoup d'argent. Jürgen a récupéré du matériel de construction de la mine de lignite à ciel ouvert voisine de la Lusace, et le fait encore aujourd'hui. Il continue d'utiliser d'anciens tapis roulants en caoutchouc lourd, qui doivent y être jetés, comme intrados de fenêtres.
Même les cimes des arbres abattus ont droit à une seconde vie avec Jürgen. On les lui dépose quand des chênes des environs sont abattus. Ce genre d'énormes fourches d'arbres, certaines mesurant deux fois deux mètres, il en a déjà plusieurs. Le bois de chêne ne fissure quasiment pas, c'est un bon bois pour les sculptures. Il éveille toujours son âme de sculpteur. «Tu dois imaginer des choses qui te font avancer», explique Jürgen. Son parc de loisirs est la preuve, qu'il avance en permanence grâce à ses idées. Avec sa tronçonneuse et ses outils de sculpture, Jürgen crée son propre univers. Un cœur d'artiste quoi.
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Les visiteurs sont les bienvenus dans le «monde secret de Turisede». Toutes les informations à ce sujet sont à retrouver ici.
Texte: Jörg Niendorf | Photos: Stephan Floss