Soif de connaissances, besoin de créer
Michael Hecken construit son univers au gré de ses envies et acquiert seul les connaissances nécessaires à ses projets. Son chef-d‘œuvre: la rénovation d‘un vieux complexe meunier de défense près de Berlin. Entretien avec un autodidacte.
Michael, vous êtes inventeur et designer. Quel a été votre parcours?
Michael Hecken: Je conçois et je construis des objets depuis toujours. Je suis l’exemple classique de l’autodidacte: je préfère apprendre par moi-même. J’ai toujours été fasciné par la manière dont les objets fonctionnent. Le HiFi était «tendance» dans les années 80. Je me rappelle très bien m’être acheté un petit moteur électronique dans un magasin d’électronique pour fabriquer un lecteur CD. Il avait trois pieds et ressemblait à un vaisseau spatial qui avalait et recrachait les CD automatiquement. J’ai commencé mon premier gros projet à 15 ans. J’ai acheté une vieille coccinelle dans une station-service, un vrai tas de ferraille. C’est avec elle que j’ai réellement commencé ma carrière de bidouilleur. J’ai ensuite conduit une Cabrio vert foncé métallique ultrachic et hyper-équipée, avec des sièges en cuir noirs.
Vous avez sans doute fait des envieux.
Peut-être. J’ai toujours aimé posséder des objets spéciaux, particuliers. Quand un design me plaît, je veux l’avoir. Et puisque ces objets sont souvent hors de prix, je me demande quelles sont leurs caractéristiques techniques et visuelles, je fais toutes les recherches nécessaires, et j’essaie de les fabriquer moi-même.
J’ai eu la mauvaise idée d’étudier la gestion d’entreprise (il rit). J’y suis arrivé un peu par hasard; c’était une décision dictée par la raison. Par contre, ça m’a appris à réfléchir comme un chef d’entreprise. Ce qui m’intéresse réellement, c’est de développer des produits, pour ma propre utilisation ou comme concept commercial. C’est comme ça que j’en suis venu à designer le premier e-bike «Grace», élégant et doté d’une batterie intégrée. En fait, j’ai toujours rêvé d’être designer industriel. Mais je n’étais pas très doué en dessin, et je pensais que c’était indispensable pour faire ce métier. Ce n’est plus le cas, puisque tout est numérique maintenant, et je sais très bien me servir de programmes 3D.
J'ai toujours eu le désir de fabriquer des objets selon mes propres idées.»
Michael Hecken
Comment avez-vous trouvé le moulin?
Je cherchais un endroit où recommencer à zéro et m’épanouir pleinement. C’était en 2003. À l’époque, je vivais à Londres, mais je songeais à déménager à Berlin. Alors que j’y passais le week-end, j’ai eu envie d’aller voir l’Oder gelée à Oderbruch. Au retour, je suis passé par hasard par Biesenthal et j’y ai découvert ce vieux complexe meunier. C’était une gigantesque ruine au milieu d’un terrain de 10 000 mètres carrés en pleine nature, un dépotoir où s’entassaient frigidaires et panneaux d’amiante. Le moulin avait été entièrement détruit lors d’un incendie, et le toit de la maison avait été réduit en cendres. Beaucoup auraient pris peur rien qu’en voyant l’état des bâtiments.
Mais pas vous, vous avez vu son potentiel.
Ce lieu a énormément de vécu. J’ai tout de suite pensé au magnifique domaine qu’il a dû être à l’époque, et j’ai eu envie d’y vivre. Je savais que j’aurais accès à la nature tout en étant près de Berlin. Je pourrais avoir mon espace et développer mes idées, tout en ayant accès à l’effervescence de la capitale. Je me suis renseigné auprès de la commune, et j’ai eu de la chance. Non seulement le bâtiment était en vente, mais il était abordable. Puis tout s’est enchaîné très vite.
Décrivez-nous les travaux.
Le bâtiment principal et les annexes ont dû être reconstruits. La partie avant et la cave étaient intactes. Par contre, la partie arrière a dû être entièrement démolie. J’ai éliminé plus de 1000 tonnes de déchets avec l’aide d’une entreprise de construction locale.
J’ai su dès le début à quoi ressemblerait le résultat final. Je tenais à restaurer la façade historique, et je voulais la faire contraster avec un design moderne. J’ai donc créé le cube avec une grande baie vitrée, puis j’ai aménagé les espaces intérieurs. Je voulais obtenir l’ambiance d’un jardin d’hiver, en version plus «cool».
Obtenir les permis de construction nécessaires auprès des autorités m’a demandé beaucoup de temps et d’énergie. Quand j’ai enfin pu commencer, j’ai fait appel à un bureau d’architectes. De la première idée aux touches finales, ce projet a duré trois ans. Aujourd’hui, j’ai tellement appris sur la construction de bâtiments que je peux accomplir toutes les étapes moi-même.
Biesenthal représente ce qui me plaît vraiment: réaliser un projet soi-même.»
Michael Hecken
Ce gigantesque projet vous a sûrement demandé beaucoup d’endurance…
Tout à fait. Et je l’ai géré en parallèle à mes autres activités. À l’époque, je travaillais encore comme responsable marketing, et j’étais en train de créer une nouvelle entreprise. Je consacrais chaque seconde de mon temps libre au moulin de Biesenthal. Je me suis parfois demandé pourquoi je m’étais infligé ça… Mais je savais ce que je voulais et ce dans quoi je m’étais embarqué.
Aujourd’hui, le moulin est bien plus qu’une énorme maison, un atelier et un bureau, n’est-ce pas?
Biesenthal représente ce qui me plaît vraiment: réaliser un projet soi-même. Essayer, se jeter à l’eau. Il m’a permis de réaliser mon rêve et de construire une maison. C’est ici que m’est venue l’idée de mon e-bike, et il a beaucoup de succès.
J’aime aussi penser que j’ai redonné vie à ce lieu que les habitants de Biesenthal considèrent comme central et historique, et que j’accomplis cette tâche dignement. J’ai toujours voulu faire quelque chose pour la communauté. Je voulais rendre ce lieu accessible aux créateurs, loin du chaos de la capitale. Deux ans plus tard, j’ai aussi décidé d’ouvrir les portes de Biesenthal à d’autres personnes.
Pouvez-vous nous en parler plus en détail?
J’y ai créé l’exposition «ART Biesenthal», qui s’est terminée en 2010. Nous organisons à présent divers événements, expositions, séminaires et congrès. L’ensemble du moulin peut être loué. Il est d’ailleurs souvent utilisé comme décor de film. En plus, j’invite régulièrement des jeunes start-ups à venir travailler sur leurs concepts. À l’avenir, nous aimerions y loger des gens, car Biesenthal n’offre aucune solution d’hébergement. L’idée, c’est que le complexe meunier soit un lieu d’art, de culture, qu’on y organise des événements spéciaux. J’aimerais que ce soit un centre culturel puissant et inspirant.
Avez-vous d’autres nouveaux projets en ce moment?
Je suis en train de développer un bateau à moteur compact et transportable. Je peux déjà vous dire que ce ne sera pas un bateau blanc au design ennuyeux. Il sera confortable, mais moderne. Je n’en suis qu’au tout début, je développe son design. J’espère pouvoir naviguer avec lorsque j’aurai suffisamment économisé (il rit).
Et si ça ne marche pas?
Ce ne serait pas la première fois. Beaucoup de mes idées ne dépassent pas la phase de conception. Je réfléchis toujours bien avant de commencer quelque chose, mais je ne m’attends pas à ce que ça marche. Je suis assez terre à terre. L’échec fait partie de la vie. Je pense comme un navigateur. Je pars, et j’irai où le vent me portera. J’essaie bien sûr d’atteindre mes objectifs, mais je n’avance pas forcément en ligne droite. Parfois, je n’avance pas comme je l’aurais espéré.
Quels conseils donneriez-vous aux autres créateurs?
D’abord, il faut bien tout mettre en place. Les projets ne sont jamais simples, et il faut avoir de l’endurance, ce qu’on ne peut maintenir que si on est suffisamment passionné. Je dis aux jeunes créatifs qui veulent tout de suite créer une start-up de commencer par réaliser de beaux produits pour eux, et de persévérer jusqu’à ce qu’ils soient parfaits. En Allemagne, commercialiser un produit est extrêmement difficile. J’attendrais jusqu’à ce que je sois absolument convaincu du résultat et que j’aie examiné le produit sous toutes ses coutures.
Que souhaiteriez voir chez les autres créateurs?
J’aimerais les voir s’amuser. Il faut aussi qu’ils pensent à la durabilité de leurs créations. J’aimerais aussi que les grands preneurs de décisions en Allemagne, ceux qui influencent nos vies, accordent plus d’attention à la durabilité, qu’il s’agisse de maisons, de meubles, de voitures ou d’autres objets du quotidien. Les objets qu’on construit soi-même sont généralement durables, ils se cassent moins facilement et ils sont faciles à réparer. J’applique aussi ce principe à mes produits et à mes projets. Ils n’ont aucune date d’expiration. Ils ont été faits avec amour, j’y ai consacré beaucoup de travail. Je n’aime pas les objets en plastique jetables. J’aimerais que les objets que nous créons soient plus esthétiques, et c’est aussi ce que traduisent mes designs. Je crée de belles formes élégantes, des pièces durables construites pour durer.
Texte: Friederike Schön | Photos: Michael Hecken, Nikolaus Karlinský
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