Le soleil des montagnes, l'eau de pluie et les températures sous zéro, voilà les fidèles collègues de Sebastian Buchwieser. S'il veut perfectionner l'une de ses œuvres, il suffit qu'il la laisse reposer dans son jardin. La nature l'aide gratuitement en agissant sur le bois, jusqu'à ce qu'il ait l'apparence souhaitée. Les rayons du soleil l'assombrissent, l'humidité le fait grisonner, et le froid le fendille. «Le soleil, l'eau et moi formons une équipe», me dit Sebastian.

Auparavant, Sebastian faisait partie des nombreux sculpteurs sur bois traditionnels installés dans les Alpes: «Jésus sur la croix, Saint-Christophe, le bœuf et l'âne de la crèche, ou encore Saint-André, se rappelle-t-il. Je n'avais plus envie de faire toujours les mêmes sculptures fines.» Il a commencé à travailler sur ses propres idées, et à utiliser une tronçonneuse. Il s'est réinventé. «J'aime les formes brutes, sans trop de détails», explique-t-il en soulevant d'une traite un lourd bloc de bois de mélèze placés dans la benne de son tracteur Renault datant de 1978. «Si je me concentre trop sur les finitions, je ne vois plus le projet dans son ensemble», me confie-t-il.

Ses œuvres ont grandi avec sa passion. Une énorme araignée en bois qui mesure 2,40 m du bout des pattes arrière au bout des pattes avant pend d'une toile de câbles métalliques au milieu de la forêt de montagne. Un flotteur plus grand que nature se tient sur des rondins au bord de l'Isar. Une famille de cinq silhouettes en bois de tilleul, une énorme vache, des skieurs abstraits... Sebastian transforme son environnement avec ses sculptures de bois. «Je veux donner de la visibilité à mon art, et comme mes œuvres sont exposées en extérieur, elles doivent avoir une certaine taille, un certain impact. Je veux créer des liens entre la nature originelle et les développements qui la menacent. Entre les traditions de ma région natale de la Haute-Bavière, qui disparaissent petit à petit, et notre époque actuelle, dominée par le numérique. Avec mes sculptures, je veux attirer l'attention de la population sur ce qui se passe en ce moment. Je veux réveiller les gens, mais sans les choquer, plutôt en leur faisant écarquiller les yeux.»

une araignée en bois qui pend d'un filet de câbles métalliques dans la forêt de montagne, et un flotteur plus grand que nature. Deux sculptures que Sebastian Buchwieser a taillées lui même.
Les œuvres de Sebastian: une araignée en bois qui pend d'un filet de câbles métalliques dans la forêt de monta

Sebastian vient de Grainau, un village situé au pied de la Zugspitze, la plus haute montagne d'Allemagne. Il y est né et y a grandi, à presque 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il vit toujours dans la vieille ferme familiale construite il y a 370 ans, avec sa famille et ses parents. Ses sculptures reflètent aussi sa région natale. Il les nomme le «Groan Art». Ce nom qu'il a inventé témoigne du lien qu'il entretient avec Grainau, son village natal – «Groanau» en dialecte bavarois. Il associe le mot anglais «art» (pour «art») et «groan», qui veut dire «grandir» en dialecte bavarois. En huit lettres, le sculpteur évoque à la fois ses origines et sa compréhension de l'art. Il veut montrer à quel point la nature est importante pour l'humanité, et à quel point elle est menacée. Ainsi, la grosse araignée pendue à sa toile dans la forêt est flexible. Chacune de ses huit pattes est attachée très souplement à son corps. Lorsque le vent souffle, la toile bouge, et l'araignée avec. Exactement comme la nature. Sebastian montre aussi à quel point la nature – et sa représentation – peuvent être fragiles. «Si la sculpture était exposée dans un parc, en ville, des citadins l'endommageraient par pur plaisir. Là-haut, entre les arbres, elle est plus difficile d'accès», dit-il en souriant. Des sculptures qui font fuir les insectes. Ou encore des «Stanker», ces pales de bois munies de barres transversales sur lesquels les fermiers étendaient autrefois la paille pour la faire sécher. Sebastian a créé plusieurs de ces «bonshommes de paille», et il les a peints de diverses couleurs. «Je voulais montrer que cette tradition paysanne risque de disparaître. Mes œuvres sont exposées à Garmisch-Partenkirchen. Les gens se demandent ce que c'est et commencent à réfléchir.»

Les «Stanker»: Des œuvres sculptées par Sebastian Buchwieser qui incitent à la réflexion.
Les «Stanker»: des œuvres qui incitent à la réflexion.

L'hiver dernier, Sebastian a commencé à sculpter une femme. La pièce, finie, est posée depuis quelques mois dans son jardin. Il est temps de sculpter le chien qui l'accompagnera. Sebastian démarre la tronçonneuse, les yeux fixés sur son bloc de bois de mélèze. De la sciure vole partout, de gros copeaux s'accumulent sur le sol. Il consulte régulièrement son portable. Il regarde la photo d'un chien qui lui sert de modèle. Lentement, très lentement, le bloc de bois se transforme en chien. «C'est toujours pareil, explique Sebastian tel un chirurgien, d'abord la scie, ensuite le couteau. Si je fais une erreur avec la tronçonneuse, je ne peux pas la corriger avec le couteau.»

Sebastian a grandi entouré de bois. L'odeur du mélèze et du tilleul. La structure du chêne et du sapin. Il a passé toute sa vie entouré de bois. Il travaille depuis 40 ans avec son père Karl dans une ancienne étable à vaches reconvertie en atelier. Son père est un sculpteur de bois de la vieille école. Son grand-père faisait déjà le même métier traditionnel il y a 100 ans. «Mon père et moi sommes très différents, mais nous apprenons chaque jour l'un de l'autre.» Lorsqu'ils sont assis côte à côte, chacun travaillant à sa sculpture, Sebastian constate à chaque fois à quel point travailler le bois est un talent inné chez son père. Il sait trouver le morceau parfait et le sculpter de manière unique. «Mais il a presque 30 ans d'avance sur moi!» Le père, quant à lui, admire le courage de son fils, sa façon différente de voir les choses, et le vent de liberté qu'il amène dans l'atelier.

Lorsque Sebastian parle de l'atelier, c'est presque comme s'il parlait d'un lieu sain. «C'était un espace sacré», raconte-t-il. «Enfant, je n'avais pas le droit de toucher les ciseaux à bois de mon père.» Il caresse la lame de l'un de ses ciseaux. «Je l'ai quand même fait en cachette, naturellement.» Ses yeux brillent derrière ses épaisses lunettes. «Il avait raison de me l'interdire. Les enfants d'aujourd'hui touchent toujours tout, pourtant ces lames sont très aiguisées, on peut facilement se couper un doigt.»

La passion de Sebastian Buchwieser: travailler le bois.
La passion de Sebastian Buchwieser: travailler le bois.

Aux murs de l'atelier pend une collection d'objets rassemblés sur au moins 100 ans: un râteau en bois, les bois d'un bouquetin, un harnais à bœufs en cuir, un cor de chasse rouillé, un crochet avec lequel son grand-père déplaçait déjà des arbres qui pesaient plusieurs tonnes dans la forêt, de vieilles cibles peintes à la main. Dans le coin trônent une perceuse d'établi et une mortaiseuse. Sebastian a fixé le chien en bois sur un socle de fragment de roches de 100 kg, pour qu'il ne glisse pas. Il tape sur le ciseau avec un marteau en bois, des morceaux de tilleul rougeâtres tombent sur le sol. L'air est plein de poussière. Mis à part les martèlements réguliers, aucun bruit ne se fait entendre dans la pièce baignée de lumière. Sebastian dessine des proportions approximatives avec un crayon sur le bois, puis il taille de petites entailles à l'aide de ciseaux fins et creux. «En fait, c'est très simple, dit-il avant de reculer pour mieux examiner l'animal en bois, il suffit d'éliminer ce qui n'appartient pas à la sculpture.»

Sebastian dans son atelier avec la sculpture en deux parties «Femme avec chien». Le chien n'est pas encore fini.
L'atelier de Sebastian

Beaucoup de ciseaux que les deux sculpteurs utilisent ont été transmis sur plusieurs générations de Buchwieser. «La réussite d'une sculpture dépend entièrement de la qualité de l'outil utilisé.» Les lames proviennent de manufactures du Stubaital, en Tyrol. Sebastian, son père ou son grand-père ont taillé eux-mêmes les manches en bois de noisetier. «Chaque main est différente», explique Sebastian en caressant les manches usés. Pour aiguiser les ciseaux, Sebastian utilise une pierre belge, pierre naturelle des Ardennes, puis il passe un morceau de cuir d'affûtage sur le tranchant de la lame.

Sebastian Buchwieser

Sebastian aime bien parler de «créations». Lorsqu'il évoque ces «créations», on dirait qu'il parle d'amis: «Il faut parfois laisser reposer le travail. La sculpture continue à se développer. Je continue à me développer. Nous finissons par nous retrouver et par poursuivre ensemble.» Cela sonne peut-être un peu plus philosophique qu'il le souhaiterait, mais ça décrit bien sa personnalité. «Comme je suis guide de montagne, je dois réfléchir à ce que je fais. Réfléchir aux risques, les évaluer. Puis agir, sans reculer.» Il procède de manière similaire lorsqu'il sculpte. Il réfléchit longuement à la façon dont il poursuivra le travail. Il laisse passer une nuit, puis il examine à nouveau sa sculpture, plusieurs fois. Il la laisse parfois reposer quelques mois. «Je suis un penseur, dit-il lentement, je ne veux pas me presser. On ne peut pas non plus demander aux arbres de pousser plus vite.»

Sebastian Buchwieser

La fenêtre de l'atelier offre une vue sur la cour. On y voit une fine sculpture, que Sebastian a baptisée «Ame». Un arbre tordu, lisse et élégant. On a une envie irrésistible de passer la main dessus. «Ce tronc n'avait pas fière allure, se souvient-il, mais j'ai voulu montrer sa beauté intérieure. Je pense avoir réussi.» Avec son «Groan Art», Sebastian montre «la plus belle matière première d'origine végétale du monde» et son caractère éphémère. La manière dont les conditions météorologiques et le temps qui passe la forment, la déforment et la transforment. «Le bois est un peu comme l'homme», dit-il, songeur.

Texte: Stefan Wagner I Images: Frank Bauer, Sebastian Buchwieser